Période 1959-1989






LA CARICATURE DEMYSTIFIE

Cabrol. Dessin d’Hitler
publié en 1938 dans
l’Escheres Tageblatt.
(Qui a valu à Cabrol des menaces de procès)
Les fleurs du pré noir sur fond blanc, jaillissantes  et ironiques ; ferrailleuses et mordantes, dessinent l’imaginaire politique et culturel, et synthétisent les aspirations. ll y faut beaucoup d’attention à révéler l’idéologie, et à exorciser l’oppression.
 Le pouvoir est dans la parole, Il est dans la page imprimée, il est aussi dans les traits et dans les courbes. Arme d’un contre-pouvoir, la caricature démystifie. Le trait s’enfle, devient gros ventre ou gros nez, il s’étire à l’occasion longiforme, et toujours l’hilarité salutaire dégonfle les baudruches, évacue l’emphase ; dans le combat contre la force, il n’y a pas meilleure façon pacifique que forcer le ridicule.
Les caricatures ont donc pour fonction  première de révéler l’excès, quels que soient les tendances de leurs auteurs et l’esprit nécessairement partisan qui les anime.


ABOLIR LE POUVOIR ABSOLU

Morchoisne. Kadhafi – 1979

Le projet de proposer une sorte d’anthologie de la caricature de presse des trente dernières années ne manquera pas d’aiguiser l’appétit des contemporains. Au premier chef, les hommes politiques s’y retrouveront, puisque c’est leur métier de promouvoir aussi la chose culturelle : ils y seront en butte à l’exercice de la critique. Mais peut-on aménager la cité et le bonheur d’autrui, sans garantir la liberté d’expression ?
Elle intéressera aussi, en cette année 1989, les héritiers de ceux qui ont aboli en France voici deux siècles, le pouvoir absolu. Ils doivent pour leur part connaître les ressorts qui sous-tendent toute activité de gouvernement, et tous les pouvoirs qu’ils ont précisément délégués depuis 1789, avec, il faut le reconnaître, des fortunes diverses.


FESTIVAL

Siné. Festival – 1989
L’étude proposée est sur ce plan riche d’enseignements. Loin d’être subversive, elle permettra de prendre le recul approprié vis-à-vis des atteintes à l’intérêt général et aux libertés fondamentales de l’individu.
Comme vous, j’ai « lu » dans la presse, les travaux de PLANTU, ceux de CABU, ESCARO, SINE, WOLINSKI, SERGUEÏ, FAIZANT, TIM, REISER, et beaucoup d’autres… et suis tombé au hasard des rayons des libraires ou des bibliothèques,  sur une partie notable des dessins qui font l’anthologie éphémère de l’exposition « de DE GAULLE à MITTERRAND, trente ans de dessins politiques en France », présentée dans le Musée d’histoire contemporaine de la BDIC, à l’Hôtel national des Invalides ; il faut absolument les revoir.
Dans l’ouvrage établi à l’occasion, chacun pourra garder heureusement – serré chez lui – un peu plus du tiers des travaux collectés pour cette manifestation, et s’enrichir des biographies et des analyses, qui ont été rédigées pour nous.
Siné. de De Gaulle à Mitterrand 30 ans de dessins d’actualité en France.
Pour ne pas oublier les premiers en fin d’avant-propos, et pendant que j’y pense, je remercie tout   de   suite  les dessinateurs-journalistes qui ont accepté d’exposer une partie de leurs travaux et en second  les  présentateurs, pour leur collaboration. Les uns et les autres ont rejoint Paris pour ce festival, celui de l’intelligence et de l’humour, celui de la poésie et de la liberté.





 
TRACER DE NOUVELLES ROUTES

Le combat singulier, avec son lot de solitude et de traque quotidienne, affronte les grands problèmes de l’heure, et ce n’est pas le moindre mérite des journalistes d’être en permanence sur la brèche, et comme personne n’a la prétention de détenir une vérité universelle, le plus angoissant est alors de tracer de nouvelles routes, sans perdre son âme.


AVANCÉES : HEURS ET MALHEURS

Villeglé.  Collage année 1950-60
L’Europe du XIXe siècle avait été   plus    que d’autres,
impérialiste et sanguinaire, hiérarchisant les races et les individus ; la liberté qu’elle prônait, arrivait souvent dans les   soutes  à  fusils.
Certes des voix s’étaient élevées fermes, contre l’esclavage, des lois mêmes avaient été votées, mais l’exploitation économique de l’homme avait perduré, car elle garantissait aux puissances en place, leur hégémonie.
Plantu. “Drogue : les dealers s’expliquent.
Pour le Moyen Orient.
On a vendu une caisse, puis deux...
et après, on n’a pas pu s’arrêter!”.
  Dessin  paru dans
Le Monde en septembre 1986:
Barre, Maurois,Fabius et Chirac.
Depuis, c’est lentement, avec des régressions inhumaines, et des avancées heureuses aussi, que l’humanité a reconnu les droits de l’homme, et la primauté de l’individu. Corollairement on a admis l’existence des autres races et justifié des cultures et des idéologies différentes.
Mais les pouvoirs abusifs prévalent encore dans le monde ; les uns massacrent des populations entières, les autres sacrifient les otages, les troisième fournissent les armes…




ENTRAÎNER L’ADHESION

Face à ces problèmes permanents, la démarche urgente était d’identifier les excès, la seconde est d’entraîner l’adhésion, pour débusquer ceux qui les commettent et rétablir les conditions d’un équilibre satisfaisant.
Pour entraîner l’adhésion de leur public, les caricaturistes doivent faire partager leur propre approche, leur propre conviction ; et la force ou la sensibilité qu’ils expriment font réfléchir, et peuvent émouvoir.
Pancho. Staline En bébé du cuirassé Potemkine d’Eisenstein.
Le Monde -1968.




PHALLUS ET TCHADOR
Plantu “Foulard: blocage à Creil”
Le Monde – 7 novembre 1989.

Citons un exemple pris dans l’actualité, celui du port du voile islamique à l’école ; KONK dans le Figaro du 2 novembre 1989, pour un article de Soustelle sur l’identité de la France, dessine une écolière au tableau noir, en  grand  voile  blanc, interrogée par son institutrice :  « dis-moi quelle est la date de la victoire… Euh ! je veux dire de la défaite de Poitiers ? ».
Dans  le  Monde  du  7  novembre 1989, un dessin de PLANTU intitulé : « Foulards : blocage à Creil », présente une petite fille en train de se laver les dents ; près d’elle son père, protecteur et agacé, s’adresse à elle en désignant trois personnages autoritaires qui ont fait irruption dans sa salle de bain : « c’est encore l’ayatollah, le proviseur et le préfet qui voudraient savoir comment tu t’habilles ce matin ! ».


FANTASIA 
                                                                                                                                     
Le dernier CHA-CHA, pardon le dernier CABU dans le dernier Canard : l’affaire du voile révèle de nouvelles solidarités. Une bande d’arabes brandissant des fusils crient à tue-tête : « nous sommes tous des Jospinos-Rocardiens ! » avec mention : renfort de signatures pour la motion Jospin-Rocard.
Ces dessins posent habilement le problème de la tolérance et de la laïcité dans les écoles, plus généralement celui de l’avancée de l’intégrisme en  Afrique et en Europe ; et à travers le symbole du tchador, la grave question de l’aliénation des femmes, dans la civilisation islamique en particulier, mais pas seulement !
Certains dessins comme les précédents sont ironiques ou humoristiques, ils procèdent par clin d’œil et désamorcent la tension. D’autres au contraire sont violents et mordants, ils traduisent avec force la gravité d’un événement, d’une situation. 
 

A LA TRAPPE

Les samizdats de Solidarnosc.
Affiche de l’exposition de décembre 1986.
10 ans d’édition indépendante en Pologne
,présentée auMHC-BDIC dans l’Hôtel des Invalides – Paris.

Dans le journal d’Antenne 2, GUS traduit la nouvelle répression de 1982 en Pologne et l’interdiction de Solidarnosc : Jaruzelski, en uniforme de général, porte des lunettes noires ; dans les verres, le reflet du trou noir d’une prison.
L’interdiction du syndicat polonais a entrainé ipso facto la recherche d’un contre-pouvoir, dans un mouvement clandestin relayé par des milliers de partisans qui croyaient au bon droit de leurs revendications ; malgré les forces en présence, la peur des chars soviétiques qui campaient près des villes, le souvenir de l’écrasement de Budapest en 1956, les dénonciations de la Stasi et les emprisonnements de leurs principaux dirigeants, ils étaient près à en découdre, assurés du succès final.
Une presse clandestine intense a été diffusée sous le manteau facilitant une information progressive et la consolidation de la grève générale. Une résolution aussi déterminée du peuple allait entraîner la reconnaissance définitive de leur action. Une masse de samizdats de cette presse témoignent encore à l’heure actuelle de l’activité militante du mouvement de libération.

 
Wiaz.  Paru dans le Nouvel Observateur
Tatcher et les membres de l’IRA prisonniers – Aout 1981.
JUSQU’OU ?
 
En avril 1981, madame Thatcher tient tête aux prisonniers irlandais qui font la grève de la faim. Dans le Nouvel Observateur WIAZ la met en scène : inflexible et avec un sourire d’ogre, elle prend les unes après les autres ses victimes et les accroche à une corde à linge.




DES SOUS

Laissez-moi terminer mon avant-propos par un dessin de SOULAS ; il va nous détendre. On est chez Rocard ; le premier ministre lit un rapport assis à son bureau ; un conseiller se penche et dit « il faut augmenter ceux qui ne demandent rien. Ainsi cela incitera ceux qui demandent à ne plus rien demander afin d’être augmentés ! ». A travers la vitre, une manif défile : « des sous, des sous ? ».


ENCORE

Un dessin de CARDON, Rocard pédagogique : « êtes-vous certain de bien gérer dans le temps vos revendications légitimes ? ».
Le quidam : « Rocard des sous ! »


NIHIL OBSTAT 

Je suis l’actualité ; je suis un bon CADIST, pardon un bon CHADIST, un caricaturiste : je sors mes griffes.
Paris, le 8 novembre 1989.



Cardon. “Tôt ou tard” dessin paru dans l’Humanité 1978.
ELOGE DE LA FOLIE 

En se remémorant l’état  d’esprit dans lequel les journalis- tes  participants   et les invités à  l’inauguration de l’exposition se trouvaient, on devait pouvoir se livrer à l’éloge de la folie, en trublions  de   la  chape autoritariste con-testée. Il convenait tout d’abord de stigmatiser les sept péchés capitaux des puissants et de leurs clientélistes. Règne absolu ou démocratie, on trouve toujours des Fouquets et consorts, des manipulateurs habiles à instrumentaliser leurs féaux, qui souvent sont victimes de leurs stratagèmes…
Constamment dans pareil cas, la raison d’Etat a toujours été invoquée pour cacher les bavures de ces cyniques et de la Real politik.

Plantu. Dessin publié dans Planète n° 122
D’autre part, si l’on parle de stratégie sociale et de prise de conscience de l’évolution des mentalités, notamment chez les femmes et dans la jeunesse, on s’aperçoit que l’Europe, et les USA des années 60 avec leur guerre du Vietnam, ont été loin de pressentir les mouvements de protestation contre l’autoritarisme des tenants du pouvoir : à l’heure actuelle on assiste à une révolte de même nature, voire une révolution dans le monde arabe, avide aussi de se libérer de leurs autocrates.
Et si on considère que  malgré la décolonisation, l’Afrique demeure un réservoir à puiser les richesses (bois tropicaux, pétrole, gaz, minerais etc.) au seul bénéfice des pays industrialisés et au détriment des populations africaines, on ne devrait pas s’étonner du retard de développement de leur économie et de la pauvreté de leurs peuples.
Mais cette obsession du pouvoir se marie très   bien, à y réfléchir, au décalage de statut que connaissent les femmes par rapport aux hommes, même dans un pays comme la France qui se proclame « Patrie des droits de l’homme et du citoyen » depuis 1793 ; rappelons sur ce plan, que le droit de vote des femmes n’a été reconnu en France qu’en 1945.


Je ne dois pas dessiner
Mahomet 
Plantu. “Je ne dois pas dessiner Mahomet"






____________________
-J. F. Batelier. Crèche française. 1989 Coll. Privée


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire