LA CARICATURE DEMYSTIFIE
Cabrol.
Dessin d’Hitler publié en 1938 dans l’Escheres Tageblatt. (Qui a valu à Cabrol des menaces de procès) |
Le pouvoir est dans la parole, Il est dans la
page imprimée, il est aussi dans les traits et dans les courbes. Arme d’un
contre-pouvoir, la caricature démystifie. Le trait s’enfle, devient
gros ventre ou gros nez, il s’étire à l’occasion longiforme, et toujours
l’hilarité salutaire dégonfle les baudruches, évacue l’emphase ; dans le
combat contre la force, il n’y a pas meilleure façon pacifique que forcer le
ridicule.
Les
caricatures ont donc pour fonction
première de révéler l’excès, quels que soient les tendances de leurs
auteurs et l’esprit nécessairement partisan qui les anime.
ABOLIR LE POUVOIR ABSOLU
Morchoisne. Kadhafi – 1979 |
Le
projet de proposer une sorte d’anthologie de la caricature de presse des trente
dernières années ne manquera pas d’aiguiser l’appétit des contemporains. Au
premier chef, les hommes politiques s’y retrouveront, puisque c’est leur métier
de promouvoir aussi la chose culturelle : ils y seront en butte à
l’exercice de la critique. Mais peut-on aménager la cité et le bonheur d’autrui,
sans garantir la liberté d’expression ?
Elle
intéressera aussi, en cette année 1989, les héritiers de ceux qui ont aboli en
France voici deux siècles, le pouvoir absolu. Ils doivent pour leur part
connaître les ressorts qui sous-tendent toute activité de gouvernement, et tous
les pouvoirs qu’ils ont précisément délégués depuis 1789, avec, il faut le
reconnaître, des fortunes diverses.
FESTIVAL
Siné. Festival – 1989 |
Comme
vous, j’ai « lu » dans la presse, les travaux de PLANTU, ceux de
CABU, ESCARO, SINE, WOLINSKI, SERGUEÏ, FAIZANT, TIM, REISER, et beaucoup
d’autres… et suis tombé au hasard des rayons des libraires ou des
bibliothèques, sur une partie notable
des dessins qui font l’anthologie éphémère de l’exposition « de DE GAULLE à MITTERRAND, trente ans de
dessins politiques en France », présentée dans le Musée d’histoire
contemporaine de la BDIC, à l’Hôtel national des Invalides ; il faut
absolument les revoir.
Dans
l’ouvrage établi à l’occasion, chacun pourra garder heureusement – serré chez
lui – un peu plus du tiers des travaux collectés pour cette manifestation, et
s’enrichir des biographies et des analyses, qui ont été rédigées pour nous.
Siné. de De Gaulle à Mitterrand 30 ans de dessins d’actualité en France. |
Pour ne
pas oublier les premiers en fin d’avant-propos, et pendant que j’y pense, je
remercie tout de suite les dessinateurs-journalistes qui ont accepté
d’exposer une partie de leurs travaux et en second les présentateurs, pour leur collaboration. Les
uns et les autres ont rejoint Paris pour ce festival, celui de l’intelligence
et de l’humour, celui de la poésie et de la liberté.
TRACER DE NOUVELLES ROUTES
Le
combat singulier, avec son lot de solitude et de traque quotidienne, affronte
les grands problèmes de l’heure, et ce n’est pas le moindre mérite des
journalistes d’être en permanence sur la brèche, et comme personne n’a la
prétention de détenir une vérité universelle, le plus angoissant est alors de
tracer de nouvelles routes, sans perdre son âme.
AVANCÉES : HEURS ET MALHEURS
Villeglé. Collage année 1950-60 |
L’Europe
du XIXe siècle avait été plus que d’autres,
impérialiste
et sanguinaire, hiérarchisant les races et les individus ; la liberté
qu’elle prônait, arrivait souvent dans les soutes à fusils.
Certes
des voix s’étaient élevées fermes, contre l’esclavage, des lois mêmes avaient
été votées, mais l’exploitation économique de l’homme avait perduré, car elle
garantissait aux puissances en place, leur hégémonie.
Depuis,
c’est lentement, avec des régressions inhumaines, et des avancées heureuses
aussi, que l’humanité a reconnu les droits de l’homme, et la primauté de
l’individu. Corollairement on a admis l’existence des autres races et justifié
des cultures et des idéologies différentes.
Mais les pouvoirs abusifs
prévalent encore dans le monde ; les uns massacrent des populations
entières, les
autres sacrifient les otages, les troisième fournissent les armes…
ENTRAÎNER L’ADHESION
Face à
ces problèmes permanents, la démarche urgente était d’identifier les excès, la
seconde est d’entraîner l’adhésion, pour débusquer ceux qui les commettent et
rétablir les conditions d’un équilibre satisfaisant.
Pour entraîner l’adhésion
de leur public, les caricaturistes doivent faire partager leur propre approche,
leur propre conviction ;
et la force ou la sensibilité qu’ils expriment font réfléchir, et peuvent
émouvoir.
Pancho.
Staline En bébé du cuirassé Potemkine d’Eisenstein. Le Monde -1968. |
PHALLUS ET TCHADOR
Plantu “Foulard: blocage à Creil” Le Monde – 7 novembre 1989. |
Citons
un exemple pris dans l’actualité, celui du port du voile islamique à
l’école ; KONK dans le Figaro du
2 novembre 1989, pour un article de Soustelle sur l’identité de la France,
dessine une écolière au tableau noir, en grand voile
blanc, interrogée par son institutrice :
« dis-moi quelle est la date de la victoire… Euh ! je veux dire
de la défaite de Poitiers ? ».
Dans le Monde du 7 novembre 1989, un dessin de PLANTU
intitulé : « Foulards : blocage à Creil », présente
une petite fille en train de se laver les dents ; près d’elle son père,
protecteur et agacé, s’adresse à elle en désignant trois personnages autoritaires
qui ont fait irruption dans sa salle de bain : « c’est encore
l’ayatollah, le proviseur et le préfet qui voudraient savoir comment tu
t’habilles ce matin ! ».
FANTASIA
Le dernier CHA-CHA, pardon le dernier CABU dans le dernier
Canard : l’affaire du voile révèle de nouvelles solidarités. Une bande
d’arabes brandissant des fusils crient à tue-tête : « nous sommes
tous des Jospinos-Rocardiens ! » avec mention : renfort de
signatures pour la motion Jospin-Rocard.
Ces
dessins posent habilement le problème de la tolérance et de la laïcité dans les
écoles, plus généralement celui de l’avancée de l’intégrisme en Afrique et en Europe ; et à travers le
symbole du tchador, la grave question de l’aliénation des femmes, dans la
civilisation islamique en particulier, mais pas seulement !
Certains
dessins comme les précédents sont ironiques ou humoristiques, ils procèdent par
clin d’œil et désamorcent la tension. D’autres au contraire sont violents et
mordants, ils traduisent avec force la gravité d’un événement, d’une
situation.
A LA TRAPPE
Les
samizdats de Solidarnosc. Affiche de l’exposition de décembre 1986. 10 ans d’édition indépendante en Pologne ,présentée auMHC-BDIC dans l’Hôtel des Invalides – Paris. |
Dans
le journal d’Antenne 2, GUS traduit la nouvelle répression de 1982 en Pologne
et l’interdiction de Solidarnosc : Jaruzelski, en uniforme de
général, porte des lunettes noires ; dans les verres, le reflet du trou
noir d’une prison.
L’interdiction
du syndicat polonais a entrainé ipso facto la recherche d’un contre-pouvoir,
dans un mouvement clandestin relayé par des milliers de partisans qui croyaient
au bon droit de leurs revendications ; malgré les forces en présence, la
peur des chars soviétiques qui campaient près des villes, le souvenir de
l’écrasement de Budapest en 1956, les dénonciations de la Stasi et les
emprisonnements de leurs principaux dirigeants, ils étaient près à en découdre,
assurés du succès final.
Une
presse clandestine intense a été diffusée sous le manteau facilitant une
information progressive et la consolidation de la grève générale. Une
résolution aussi déterminée du peuple allait entraîner la reconnaissance
définitive de leur action. Une masse de samizdats de cette presse témoignent encore
à l’heure actuelle de l’activité militante du mouvement de libération.
Wiaz. Paru dans le Nouvel Observateur Tatcher et les membres de l’IRA prisonniers – Aout 1981. |
JUSQU’OU ?
En
avril 1981, madame Thatcher tient tête aux prisonniers
irlandais qui font la grève de la faim. Dans le Nouvel Observateur WIAZ la met en scène : inflexible et
avec un sourire d’ogre, elle prend les unes après les autres ses victimes et
les accroche à une corde à linge.
DES SOUS
Laissez-moi
terminer mon avant-propos par un dessin de SOULAS ; il va nous détendre.
On est chez Rocard ; le premier ministre lit un rapport assis à son
bureau ; un conseiller se penche et dit « il faut augmenter ceux
qui ne demandent rien. Ainsi cela incitera ceux qui demandent à ne plus rien
demander afin d’être augmentés ! ». A travers la vitre, une manif
défile : « des sous, des sous ? ».
ENCORE
Un
dessin de CARDON, Rocard pédagogique : « êtes-vous certain de
bien gérer dans le temps vos revendications légitimes ? ».
Le
quidam : « Rocard des sous ! »
NIHIL OBSTAT
Je suis
l’actualité ; je suis un bon CADIST, pardon un bon CHADIST, un
caricaturiste : je sors mes griffes.
Paris, le 8 novembre 1989.
Cardon. “Tôt ou tard” dessin paru dans l’Humanité 1978. |
ELOGE DE LA FOLIE
En
se remémorant l’état d’esprit dans lequel
les journalis- tes participants et les invités
à l’inauguration de l’exposition se
trouvaient, on devait pouvoir se livrer à l’éloge de la folie, en trublions de la chape autoritariste con-testée. Il
convenait tout d’abord de stigmatiser les sept péchés capitaux des puissants et
de leurs clientélistes. Règne absolu ou démocratie, on trouve toujours des
Fouquets et consorts, des manipulateurs habiles à instrumentaliser leurs féaux,
qui souvent sont victimes de leurs stratagèmes…
Constamment
dans pareil cas, la raison d’Etat a toujours été invoquée pour cacher les
bavures de ces cyniques et de la Real politik.
Plantu. Dessin publié dans Planète n° 122 |
D’autre
part, si l’on parle de stratégie sociale et de prise de conscience de
l’évolution des mentalités, notamment chez les femmes et dans la jeunesse, on
s’aperçoit que l’Europe, et les USA des années 60 avec leur guerre du Vietnam,
ont été loin de pressentir les mouvements de protestation contre
l’autoritarisme des tenants du pouvoir : à l’heure actuelle on assiste à
une révolte de même nature, voire une révolution dans le monde arabe, avide
aussi de se libérer de leurs autocrates.
Et si
on considère que malgré la
décolonisation, l’Afrique demeure un réservoir à puiser les richesses (bois
tropicaux, pétrole, gaz, minerais etc.) au seul bénéfice des pays
industrialisés et au détriment des populations africaines, on ne devrait pas
s’étonner du retard de développement de leur économie et de la pauvreté de
leurs peuples.
Mais
cette obsession du pouvoir se marie
très bien, à y
réfléchir, au décalage de statut que connaissent les femmes par rapport aux
hommes, même dans un pays comme la France qui se proclame « Patrie des
droits de l’homme et du citoyen » depuis 1793 ; rappelons sur ce
plan, que le droit de vote des femmes n’a été reconnu en France qu’en 1945.
Je ne
dois pas dessiner
Mahomet Plantu. “Je ne dois pas dessiner Mahomet" |
____________________
-J. F.
Batelier. Crèche française. 1989 Coll. Privée
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