CONCLUSIONS GENERALES
Pour une approche de la paix chez les humains




A travers l’histoire des hommes s’est tissé un fil ténu d’humour et d’espoir de l’Eirenée.

Dans sa marche et son évolution au cours de siècles d’obscurantisme et de sauvagerie, l’homme a toujours tenté de combattre tour à tour, les monstres des premiers ères et les grands fauves qui le déchiraient. Pour échapper et survivre à ces périls, ainsi qu’aux cataclysmes qui fracturent périodiquement la planète-terre, les hommes ont dû développer, instruits par l’expérience, des contre-feux et des techniques de plus en plus opératoires.
Mais le combat permanent qui leur a permis de survivre, même à travers de grands périls, a forgé les plus grands desseins et développé les plus grandes passions : c’est un lourd héritage qui  modèle  toujours  l’esprit et explique en grande partie, les ressorts qui sous-tendent leurs activités et jusqu’à aujourd’hui. Au long des siècles, des philosophes,littéralement des amis de la sagesse, ont expliqué ces conditions d’existence, et proposé des solutions par une analyse de ce qu’est l’homme, dans ses desseins, dans ses objectifs, dans ses méthodes et dans les activités qu’il déploie, animé par une passion de la réussite et un effort constant pour échapper au malheur et à la faillite.

 
Portrait de Montaigne 
Au XVIème siècle, dans Les Essais,    notamment  dans Les Coches, MONTAIGNE stigmatisait les méthodes de conquête des territoires du Pérou et des Indes par les conquistadores espagnols, de la façon suivante : «  (…) Combien il eût été aisé de faire son profit d’âmes si neuves, si affamées d’apprentissage, ayant pour la plupart de si beaux commencements naturels !
Au rebours, nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice, et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et patron [modèle] de nos mœurs. Qui mit jamais à tel prix le service de la mercadence [commerce] et du trafic ? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! Mécaniques [viles] victoires. Jamais l’ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à si horribles hostilités et calamités si misérables ».

En côtoyant la mer à la quête de leurs mines, certains Espagnols prirent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées : « Qu’ils étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de Castille, le plus grand prince de la terre habitable auquel le pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes (…) »

« A une autre fois, ils mirent brûler pour un coup, en même feu, quatre cent soixante hommes tout vifs, les quatre cents du commun peuple, les soixante des principaux seigneurs d’une province, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons d’eux-mêmes ces narrations, car ils ne les avouent pas seulement, ils s’en vantent et les prêchent. Serait-ce pour témoignage de leur justice, ou zèle envers la religion ? Certes, ce sont voies trop diverses et ennemies d’une si sainte fin. S’ils se fussent proposé d’étendre notre foi, ils eussent considéré que ce n’est pas en possession de terres qu’elle s’amplifie, mais en possession d’hommes, et se fussent trop contentés des meurtres que la nécessité de la guerre apporte, sans y mêler indifféremment une boucherie, comme sur des bêtes sauvages, universelle, autant que le fer et le feu y ont pu atteindre, n’en ayant conservé par leur dessein qu’autant qu’ils en ont voulu faire de misérables esclaves pour l’ouvrage et service de leurs minières (…) ».


Portrait de Voltaire par Holbein 
Autant que l’on remonte à ses origines, contrairement à ce que pensait Jean Jacques Rousseau, l’homme n’est pas bon par nature, et comme il est doué d’intelligence et de capacité d’imagination, il peut être plus sauvage et plus cruel que les animaux : ce qui n’était pas assurément le cas de Voltaire, son contemporain. D’esprit frondeur, VOLTAIRE a connu un premier emprisonnement à la Bastille en 1723, ainsi que l’exil en Angleterre pendant deux ans ; il y écrivit les Lettres philosophiques (1734), un premier manifeste des Lumières, puis son conte philosophique Zadig ou la Destinée. Esprit libre il continuera à publier Micromégas (1752), L’ingénu (1767) qui dénonçaient les abus politiques, la corruption et l’inégalité des richesses.
Dans ses pamphlets il dénoncera aussi l’injustice et obtiendra la réhabilitation de Calas, et de Sirven ; il publiera encore Le traité sur la tolérance (1763)  et le Dictionnaire philosophique (1764).
Enfin réhabilité après vingt sept ans d’exil en 1778, il fera représenter par la Comédie française, sa tragédie Irène.


Aristophane Les guêpes.
La paix. Collection Budé
Au Vème siècle avant notre ère, à l’époque de Thucydide et de sa Guerre du Péloponnèse, le poète ARISTOPHANE, auteur de très nombreuses comédies, quarante environ selon les Anciens dont onze seulement nous sont parvenues intégralement, avait dénoncé les travers des gouvernants et des gouvernés de son époque, dans un véritable théâtre de l’absurde, où des situations imprévues ou fantastiques s’enchaînent dans une logique implacable. 

Sa première comédie conservée, Les Acharniens (425), est un plaidoyer pour la paix , thème repris dans Les cavaliers.
Dans une troisième comédie intitulée explicitement La Paix, l’auteur présente son héros Trygée, salué par le peuple qui désormais va vivre dans la joie et l’abondance, débarrassé des fabricants et marchands d’armes de toutes sortes, après la mort du tyran Créon. Le peuple entier des laboureurs, salue avec émotion et passion, la Paix tant désirée, cf les vers 582-600. Dans cette pièce d’une gaîté franche et continue, il exprime sa confiance dans la réalisation de ses vœux ; et rappelant les causes de la guerre, l’auteur montre qu’elle est due uniquement à quelques meneurs ambitieux et brouillons, les rois à Sparte, les démagogues et les chefs militaires à Athènes.

Aristophane par anticipation montre les Choreutes chantant la libération de la déesse Paix qui a été retenue prisonnière dans la Caverne, par le tyran. Hermès : libation, libation ! recueillez-vous, recueillez vous ! En faisant cette libation, nous demandons que ce jour inaugure pour tous les Hellènes, une longue suite de biens, et quiconque aura de bon cœur empoigné ces câbles1, que celui-là ne prenne jamais le bouclier.


Trygée. Non, par Zeus, mais qu’il passe sa vie au sein de la Paix, avec une amie, à tisonner… les charbons2.
Hermès. Quant à celui qui préfère qu’il y ait la guerre, que jamais il ne cesse, ô seigneur Dionysos…
Trygée. … de retirer de ses coudes des pointes de dards.  


Buste d’Epicure. Le jardin et ses disciples
Tout en continuant à tenir fermement dans la main le fil d’Eirénée, il convient de dire maintenant ce que l’on doit au philosophe Epicure et à sa doctrine,  du troisième centenaire avant notre ère. La philosophie d’EPICURE fut fondée à Athènes et sa doctrine, l’un des courants majeurs de la pensée antique, repose sur un matérialisme complet, sur la doctrine atomiste et athée. Le jardin d’Epicure représenté traditionnellement comme un lieu de débauche est en fait une école de calme, où règnent frugalité et travail, sérénité et maitrise de soi, au milieu d’une société décadente dans les années 270. L’œuvre d’Epicure, abondante mais perdue, à l’exception de trois Lettres, connues par Diogène Laërce et Lucrèce, fait des sensations le critère des connaissances et de la morale, et des plaisirs qu’elles procurent, le principe du bonheur, à condition d’en rester maitre.

Cette doctrine partagée par les disciples du philosophe, fut ensuite enseignée par Hermarque, puis à Mytilène, en Egypte, et au deuxième siècle, à Antioche et à Rome. Le disciple le plus célèbre, au premier siècle de notre ère, fut Lucrèce (De natura rerum). L’épicurisme connut un renouveau au XVIIème siècle avec Gassendi, critique de Descartes et philosophe sensualiste, dont la physique atomiste et la morale rejoignent celles d’Epicure.
A travers Gassendi, l’épicurisme influencera le matérialisme moderne notamment Karl Marx.


Revenons maintenant à l’époque de la Renaissance, qui déclencha d’abord en Italie au XVème siècle puis dans le reste de l’Europe, une réouverture intellectuelle sur le monde antique. Cette renaissance a permis de retrouver la pensée et la civilisation  d’un monde de plusieurs siècles qui avait été passé à la trappe, à la suite notamment de l’implantation sous l’empereur Constantin, d’une religion monothéisme.
L’éditorial de ce premier numéro de la revue Sçavoir Faire Sçavoir a été rédigé en hommage au théosophe de la Renaissance, Erasme, et en particulier à son opuscule L’éloge de la folie qui connut, en Europe, un grand succès. L’humaniste hollandais Erasme fit la connaissance en Angleterre de Thomas More, chez qui il rédigea L’éloge de la folie (1511). Fondateur d’un nouvel humanisme chrétien, il publia les Colloques (1518) dans lesquels il se moquait des prétentions des protestants et de l’arrogance des catholiques. Il écrivit contre Luther le Traité du libre arbitre en 1524. Hostile à tout fanatisme, il a cherché à définir un idéal de paix et de tolérance, unissant sagesse antique et savoir moderne.

Portrait d’Erasme par Largillière
et extrait de l’Eloge de la folie
 
Dans la traduction du texte de Pierre de Nolhac et les notes de Maurice Rat, on lit en quatrième  de  couverture l’extrait d’ ERASME suivant : « rien n’est plus sot que de traiter avec sérieux de choses frivoles ; mais rien n’est plus spirituel que de faire servir les frivolités à des choses sérieuses. C’est aux autres de me juger ; pourtant, si l’amour-propre ne m’égare, je crois avoir loué la folie d’une manière qui n’est pas tout à fait folle ».
Et si les traducteurs ajoutent qu’à travers cet exercice qui mêle l’ironie et l’absurde et met en scène la Folie sous les traits d’une femme à longues oreilles ornées de grelots, démontrant à ses auditeurs qu’ils sont tous des fous et qu’elle seule a du bon sens, on comprend que l’auteur condamne le fanatisme et témoigne du difficile accord entre l’intelligence et la foi.









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1.Les câbles servaient à retirer les rochers qui obstruaient la caverne où était captive la déesse Paix, Eirénée.

2. A tisonner… les charbons. « Les charbons » est une surprise au lieu du mot attendu « le foyer », ou « les organes » double sens précisé par le contexte.

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