Le renouveau de la BDIC dans le campus de
Nanterre 1971-2000
Tour de la BDIC édifiée en 1969-70 |
L’État avait envisagé au début des
années 60, l'organisation d'un pôle documentaire en
particulier sur l'étude du vingtième siècle, pour installer la BDIC
dans des bâtiments satisfaisants, après quatre ans d'occupation de la France et
ses séquelles désastreuses. Le projet de créer d'autre part une nouvelle
Université dans la région ouest de Paris, allait entrainer la future implantation
du pôle documentaire qui juxtaposerait une Biblio-thèque universitaire pour
cette nouvelle université, et les services et collections de la BDIC. Les deux
nouveaux établissements auraient pour mission de servir tout d'abord, étudiants
et enseignants de la région, et la BDIC d'autre part, en prenant
le statut de bibliothèque inter-universitaire continuerait à pourvoir aux
besoins de la recherche française et internationale, sur les questions
concernant les conflits et le maintien de la paix, si toutefois on assurait sa
survie et sa croissance.
Préambule : une vision de l’humain
Le bouillonnement des années 50-70
allait être porteur de grands changements vite repérables.
Le projet de rendre compte de cette période
exigeait des moyens efficaces de perception des situations évolutives et de
leurs représentations.
Dans les groupements de nations qui se
disputaient la maitrise de la planète, les hommes vivaient de nouvelles
situations. Il convenait de s’occuper des phénomènes sociaux et de leur
évolution. C’était l'ambition de vouloir comprendre, d'éviter de "subir" ce qui arrivait : une
lecture du monde dans sa diversité et sa complexité.
Paillasses
superposées des baraquements de camps de concentration nazis et leurs détenus |
Les années 50-70 annonçaient une
nouvelle perception de l'humain, de ces heurs et malheurs, en particulier
dans une période récente où sa condition même, pour la première fois dans
l’histoire des hommes, avait été niée, mais aussi de la confrontation des pouvoirs multiples qui
géraient les Etats : le géopolitique, l'économie, le financier, le
militaire, le culturel et le social voire le religieux et les utopies
nouvelles…
Les Etats ou les groupements d'intérêt mettaient en place ou
réactivaient des moyens de perception, confortant parfois des entreprises,
comme nous l’avons vu, qui avaient eu la prévoyance, sans doute la prescience
de l'utilité de rassembler, de mettre en perspective les situations et les
évènements du passé proche.
L’historien grec Thucydide (475-395 av. JC) avait écrit en son temps
dans sa Guerre du Péloponnèse : « …si
l’on veut voir clair dans les évènements passés et dans ceux qui, à l’avenir,
en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteraient des similitudes ou
des analogies, qu’alors on les juge utiles, et cela suffira : ils
constituent un trésor pour toujours… ».
A l’exemple de cet historien du Vème siècle avant notre
ère, il convenait de renseigner les contemporains, tout d’abord en collectant
les informations, de première main si possible, et de les transmettre aussi aux
générations montantes.
Une fois justifiés intellectuellement le maintien et la poursuite
de l'œuvre historique avec sa philosophie d'ouverture, de transparence et de
diffusion, il convenait de relever le défi d'une exploitation minutieuse de la
période troublée des années 50-70 : cette perspective de travail nous
contraignait à définir les modalités d’une mise en œuvre adéquate.
Des techniques informatiques avancées
Techniques
informatiques appliquées aux réseaux nationaux et inter-nationaux |
La construction d’un bâtiment de 14000
m2 en 1968-70 à Nanterre a
permis l’installation de la BDIC en 1970-71. D’autre part le Musée a été
transféré dans l’Hôtel national des Invalides en 1973, en échange du Pavillon
de la Reine et du Donjon, libérés au bénéfice des Services historiques de
l’armée. Dès 1985 on a adopté un programme informatique proche de
celui de la Bibliothèque nationale à Paris. Les premières collections traitées
allaient concerner les grands fonds de la Première guerre et la numérisation
progressive des acquisitions y compris celles des pays de l’Est en caractères
cyrilliques. En 1990 on a fait de même pour le Musée afin de maitriser les
techniques de l’image et du son et l’usage d’internet.
Cet effort de modernisation a
accéléré la participation de la BDIC et son Musée aux réseaux nationaux et internationaux : étape importante dans la réalisation des objectifs que
l’organisme s’était fixé, en 1917.
La veille documentaire de la BDIC et sa
philosophie
Une
fois relevée des épreuves et du traumatisme dus à l’incendie guerrier de 1944,
le défi d’une réappropriation de la fonction d’information devait être
possible. En 1984, l’Europe occidentale est en paix depuis quarante ans ;
une réflexion historique, dégagée des contraintes de la partialité était
envisageable. La guerre froide et ses conséquences entretenues par les deux
blocs mondiaux rivaux, s’exerçaient encore sur les opinions et les gouvernements
; mais a contrario, la crainte d’une catastrophe nucléaire, a
« protégé » l’Europe et le monde d’un nouveau conflit.
La
sélection documentaire n’est pas neutre ; plusieurs facteurs jouent :
l’orientation de l’organisme, la culture et la compétence des hommes.
L’objectivité étant impossible, une déontologie de l’ouverture et de la diversité des points de vue, s’impose
comme le moyen le plus adéquat.
Reste
la pratique quotidienne : les journaux d’opinion se définissent par leurs
tendances et leurs lecteurs respectifs et les questions sensibles parce
qu’actuelles ou plus anciennes, peuvent provoquer de nouveaux affrontements.
La
dernière guerre des Balkans (1991-1995), celle de la guerre bosniaque nous a
montré à quel point les anciennes alliances ont pesé sur le conflit ainsi que
sur sa représentation pendant les quatre années de guerre, comment les
politiques, les gouvernements et les opinions publiques se sont réfugiés dans
l’attentisme. Déjà engagés dans la guerre du Golfe, les américains s’opposaient
à toute ingérence, l’URSS, quand à elle, semblait hors jeu, les français pour
leur part, du moins les pouvoirs en place, encore marqués par le souvenir de la
fraternité d’arme des combattants de la Grande guerre avec l’armée serbe, ont
longtemps hésité à dénoncer publiquement l’agresseur, alors que les victimes étaient nettement identifiables.
Quant aux allemands ils ont été les premiers à reconnaitre, je pense,
l’indépendance de la Croatie et accélérer ainsi le démantèlement de la
Yougoslavie, dont la capitale fédérale était précisément Belgrade, leurs
anciens adversaires.
Une
intense activité dans la collecte internationale (presse et archives) s’est
donc développée, pour assurer sa mission d’information et sa responsabilité
éducative sur les questions importantes de la réflexion politique. On pense en
particulier à tout ce qui pourrait entraîner des conflits politiques ou
économiques ou religieux " déclencheurs " dans certains cas de
conflits armés.
Projet d’extension de bâtiments : la
nouvelle BDIC
Le
développement des collections (30 000 entrées par an) nécessitait une nouvelle
extension de surface des services et des magasins. Sa fiabilité était en jeu à
l’instar des grandes bibliothèques et musées des USA, d’Allemagne et de l’URSS.
De plus un projet de regroupement de la
majorité des collections historiques et iconographiques permettrait de
recouvrer l’unicité des origines de l’organisme et de faciliter par là leur
exploitation.
De plus
la nécessité intellectuelle et morale de poursuivre le projet des fondateurs de
1914 nous incitait, à une plus grande attention au déroulement d’une activité
internationale de plus en plus complexe.
C’est
pourquoi un projet de construction a été élaboré au début des années 90 par
programmations successives ; le
dernier en date du 15 juin 1997 comportait
143 pages. Des
crédits avaient été inscrits au XIe plan Etat-Région, ce qui aurait
permis le financement d’une première tranche de construction supplémentaire.
Cependant
le développement des réseaux numérisés et d’internet, devraient inciter les
pouvoirs publics à investir dans cet organisme centenaire à vocation
internationale pour mettre en valeur ces grands fonds d’écrits, d’images et de
sons, ainsi que des archives historiques du XXème siècle et du XXIème
siècle commençant, car on ne peut pas en faire l’économie si l’on veut parvenir
à une représentation qui colle à la réalité et l’évolution du monde.
Programme scientifique : les contrats
pluriannuels
Un
programme aussi dense nous imposait l’obligation de rechercher des moyens
financiers importants. En plus des dotations annuelles du Ministère de
rattachement, la BDIC reconnue au plan national et international, a fait appel
au Ministère de la Recherche et de nombreux contrats ont été signés :
. contrat 1985-1988, établi en 1984 (110 p). contrat 1989-1992, établi en 1988 (126 p)
. contrat 1990-1991, établi en 1989 (75 p) .
contrat 1992-1995, établi en 1991 (118 p)
. contrat 1992-1995, examen à mi-parcours en
1991 (28 p) campagne 1997-2000
. programmes pluri-formations 1996, (175 p)
vol. I - bilan 1992-1996
. programme 1997-2000 vol. II – annexes
. programmes spécifiques - aires culturelles de
1983-1993
On peut
constater que de 1985 à 1998 les demandes financières de la BDIC ont été, en
grande partie honorées et que les travaux d’exploitation des archives prévus
dans les différents programmes ont pu être poursuivis.
Analyse d’un conflit récent : l’espace
Yougoslave. Un siècle d’histoire
Parmi
les treize analyses consacrées à l’étude des conflits armés, que comprenait en
1998 la Collection des publications de la BDIC je retiendrai ici, à titre
d’exemple, l’ouvrage suivant : De
l’unification à l’éclatement, l’espace yougoslave Un siècle d’histoire que
l’on aurait pu appeler : De Sarajevo
à Sarajevo, comme en écho à la Grande guerre et au démantèlement de
l’Empire austro-hongrois.
Dans la
préface, en ouverture de cet ouvrage1, il convenait de s’interroger
sur les mesures qui avaient permis de promouvoir le système intégrationniste de
l’histoire des populations slaves du Sud et d’autre part, d’annoncer clairement
la cause des ruptures de ce processus d’unification engagé dès le XIXème
siècle.
En
d’autres termes, quatre vingts ans après la création de la Yougoslavie, il
convenait de mettre en relief les intérêts communs qui pouvaient réunir ces
populations, en dépit de leurs diversités et de leur caractère
multi-ethnique ; mettre en place par exemple des structures économiques au
bénéfice de tous, renforcer le système politique nouveau face aux appétits des
puissances frontalières ou internationales.
A
contrario, notre questionnement devait révéler les causes de l’échec de ces
tentatives d’unification : par exemple le risque de confiscation du
pouvoir par des partenaires mieux armés (importance de leur population, appuis
extérieurs et diplomatiques), difficultés, voire refus des populations les plus
développées économiquement à accepter un partage des richesses avec des
communautés moins favorisées, et pour lesquelles elles ne se sentaient que peu
ou pas du tout d’affinités ; par un réflexe de défense on a assisté a des formes
de résistance et de replis, et par voie de conséquence à la neutralisation
progressive de l’action politique
entreprise.
Aurait-il
suffit que le régime soviétique s’effondre en 1991 après 45 ans de domination
sur l’Europe centrale et 10 ans après la mort de Tito, pour qu’un nouveau
conflit armé se déclenche dans les Balkans ? Ce conflit n’est-il pas causé
plus fondamentalement par la résurgence de forces politiques et culturelles
endogènes longtemps refoulées ? Comment expliquer autrement en plein cœur
de l’Europe, une guerre civile qui a duré quatre ans de 1991 à 1995, entraînant
la mort de 200 000 personnes environ, des milliers de blessés, un exode de
2 000 000 de civils et des destructions massives ?
La BDIC
et son Musée d’histoire ont voulu apporter ici, comme dans leurs autres
activités, leur contribution à la recherche et à l’analyse des représentations
concernant les populations balkaniques et le démantèlement de leur
organisation, en une période où parallèlement la communauté européenne s’organisait,
pour tenter de consolider son économie, resserrer ses relations multilatérales,
constituer un pôle fort, apte à équilibrer les hégémonies dominantes, et ainsi à œuvrer pour le maintien de la paix.
Au
cours de l’étude proposée, les conflits et les crises ont été replacés dans la
durée à travers le XXème siècle. Grâce aux analyses des spécialistes
et à la documentation extrêmement riche qui a pu être extraite des collections
des principaux musées et des centres scientifiques et culturels des capitales,
Skopje, Belgrade, Sarajevo, Zagreb, Ljubljana les moments forts de l’histoire
du Sud des Balkans ont été rappelés : les guerres balkaniques, l’attentat
de Sarajevo et la Première guerre, la création du Royaume des Serbes, Croates
et Slovènes, sa désintégration en 1921 et la Seconde guerre mondiale, la
création de la
Fédération socialiste et yougoslave et
son évolution, la mort de Tito,
la désintégration de la Fédération dans
les années 80 et les guerres en Slovénie
(1991), en Croatie
(1991-1992), et en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) enfin les
accords de Dayton qui ont permis l’arrêt des combats en 1995 et les conditions
du retour à la paix.
Dès
lors la problématique la plus importante concernait les formes de l’Etat à
mettre en place, le choix entre des organisations de républiques autonomes ou
de fédération(s) ou de confédération ; il convenait aussi de tenir compte
des interactions possibles entre des communautés à présence multi-ethnique
dominante – le cas de la Bosnie-Herzégovine est exemplaire - ou de caractère
plus homogène comme les populations de la Slovénie, de la Croatie.
Carte du Kosovo indépendant en 2008. |
D’autre
part après de nombreuses années d’hostilités et de tergiversations entre Belgrade
et Pristina, l’indépendance du Kosovo
soutenue par l’Union européenne a été reconnue en février 2008 comme l’avait été au
préalable celle du Monté-négro.
Fort
de cette heureuse évolu-tion, si l’on admet que les accords de
Dayton permettent de voir s’instaurer de façon stable, des frontières et des
structures politiques, soit de type fédératif, soit de républiques autonomes,
on peut espérer que les anciens adversaires, reconnus internationalement dans
leurs identités et dans leurs territoires, verront un intérêt, en ces temps de
mondialisation, à tisser entre eux des relations politiques, économiques et
culturelles qui s’inscriraient dans un ensemble plus vaste (confédéral ?)
comprenant l’Europe occidentale, l’Europe centrale et l’Europe orientale.
La BDIC – MHC et les médias. Un double
processus : collecte et restitution
Les
expositions thématiques et activités éditoriales qui ont été conduites
parallèlement aux travaux scientifiques précédents s’articulent selon les
séries suivantes :
I –
Histoire et image du XXème siècle. II –
Etude de textes, analyses et essais. III
– Inventaire, catalogue et bibliographie thématique. IV – Histoire et audiovisuel. V – Guides, programmes scientifiques et
immobiliers et rapports annuels. VI –
Expositions sur panneaux, sur internet et « hors les murs ». Elles
constituent la Collection des
publications : Des Sources pour
l’histoire qui prolonge le
projet d’origine ; elle comptait en 1998 une quarantaine d’ouvrages dont
un tiers diffusé par la Découverte-Sodis ;
les thèmes principaux abordés sont les suivants : Libération de la France,
les Mouvements contestataires des années 60 en France et dans le monde, la
Propagande sous le régime de Vichy, l’Histoire soviétique de 1917 à 1991, la
Guerre d’Algérie, la France et l’ Allemagne dans l’Europe des années 20 :
tentative pour une première Europe avec Aristide Briand et Gustav Streseman, la
représentation des africains colonisés dans les milieux européens, l’analyse de
la déportation et du système concentrationnaire et de
l’hégémonie nazie sur
une grande partie
du monde occidental, avec la participation d’historiens allemands,
l’exil des républicains espagnols dans
le sud-ouest de
la France, l’analyse de l’affaire
Dreyfus, un travail sur l’histoire de la Yougoslavie : de l’unification à
l’éclatement - l’espace yougoslave. Un siècle d’histoire, dont nous venons de
parler à titre d’exemple. Il convient de signaler aussi la richesse des
collections réunies sur la guerre du golfe, ouvrages, numéros spéciaux de
revues (Hérodote, Military revew, etc). De nombreux dossiers sur cette guerre
permettent de comprendre les enjeux de la coalition alliée et celle du conseil
de sécurité de l’ONU.
Par
ailleurs, les travaux de l’Association des Amis de la BDIC, qui paraissent dans sa revue : Matériaux pour l’histoire de notre temps, constituent
un remarquable corpus pour l’étude de l’histoire du XXème siècle. Un vaste
réseau de chercheurs participent à l’élaboration des numéros, avec les responsables
de la BDIC. La revue est publiée avec le concours du Centre national des
Lettres et de l’Université de Paris X. Daniel Mayer journaliste et Président du
Conseil constitutionnel et après lui, l’historien René Girault en ont assuré la
direction jusqu’à leur mort. La présidence a ensuite été assurée par Robert
Frank.
La
BDIC, organe d’information publique au plan international a toujours entretenu
avec la presse et les médias en général, des relations de travail
particulières ; dès 1918, le Président du Conseil Georges Clémenceau, nous
l’avons vu, avait fait verser à la BDIC les archives du Bureau d’études de la
presse étrangère (BEPE).
Examinons
le rôle qu’elle joue actuellement au bénéfice de ces médias notamment de la
télévision et de la presse, comme si elle leur « renvoyait
l’ascenseur ».
Participation
aux émissions télévisuelles, par exemple aux Brûlures de l’ histoire 1992 -1993 |
C‘est
donc un double processus de travail qu’elle exerce, collecte et restitution, prouvant
par là son
ancrage dans les
préoccupations du monde actuel
et sa détermination à poursuivre et faire partager si possible, son analyse et
sa représentation évolutive du monde.
De son
côté l’Association des Amis de la BDIC a publié depuis 1985 dans sa revue
trimestrielle sur les questions suivantes : Histoire des femmes et du
féminisme, Chute du nazisme, Année 1938 - l’engrenage des abandons -, Socialismes et classes moyennes en France et
en Allemagne, Mésentente cordiale :
les relations franco-britanniques de 1945 à 1957, Colonisation en Afrique,
Nationalité et minorité nationale, Allemagne : an un de l’unification, La
guerre d’Algérie : les humiliés et les oubliés, Exilés et réfugiés
politiques dans la France » du XXe siècle, Médias dans le mouvement social
contemporain, et comme nous l’avons vu plus haut, l’article sur les Modèles
d’Asie (n° 45), etc.
____________________
1.Préface
de Joseph Hüe pour l’ouvrage : De l’unification à l’éclatement.Espace
yougoslave, un siècle d’histoire.
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